Sans l’intervention du député Félix Tchicaya, l’arrondissement 2 Bacongo aurait été déplacé de son emplacement actuel pour l’au-delà du Djoué
L’arrondissement 2 Bacongo (Bac-City), situé au sud de Brazzaville, actuellement dirigé par Docteur Simone Loubienga, est la première agglomération fondée par l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza entre 1884 et 1890, quelques années après la ville de Brazzaville proprement dite fondée le 3 octobre 1880; c’était dans le village téké, celui du chef Mbama établi sur la terrasse supérieure dominant le fleuve Congo.
En 1889, d’après un document administratif rapporté par Georges Balandier, auteur des Brazzavilles noires, Bacongo avait 350 habitants dont les Tékés sous la houlette du Chef Mbama et les premiers éléments venant de l’actuelle région du Pool. Plus tard, Bacongo aura son homogénéité ethnique (99% des Koongos), contrairement à Poto-Poto, arrondissement plus cosmopolite.
Bacongo dont les noms des rues rappellent les grandes personnalités de l’histoire et de la littérature françaises, était subdivisé en trois quartiers: Dahomey (à cause des premiers habitants pêcheurs dahoméens), Aviation (à cause du terrain d’aviation) et Bunsana bua nkokéla, alias «Saint Pierre», à cause de la majestueuse Église Catholique Saint Pierre Claver qui y fut construite en 1962. Il est limité au nord par le Boulevard Denis Sassou-Nguesso, au sud par le quartier Mpissa, à l’est par la corniche, à l’ouest par le ruisseau Makélékélé et une partie de l’Avenue de l’OUA.
Bacongo est un microcosme, une représentation de l’histoire de Brazzaville: histoire dynamique reflétant l’actif et le passif du déroulement d’une existence et le dévoilement d’une culture en évolution. Cette dernière est tant révélatrice d’une volonté de vivre capable, de marquer les événements qu’a connus le Congo au cours de son histoire porteuse de l’interrogation qu’elle suscite aujourd’hui dans les expériences diverses vécues par les habitants de Bacongo, les Bacongolais, en tant qu’acteurs et victimes.
Bacongo a été le théâtre de beaucoup de malheurs contrariant une fascination pour la joie de vivre qui le caractérise; Bacongo ainsi visé par le lieu où l’abomination de la désolation s’exerçant sur la dignité humaine par un comportement bestial aurait atteint son paroxysme. Pourquoi Bacon a-t-il été victime de tant de lâcheté et de tant de haines humaines exprimées ou inavouées?
Tout Congolais ou tout autre observateur avisé de la politique au Congo comprendra que c’est dans l’histoire globale du Congo que se trouvent les éléments de réponse. C’est dire que Bacongo a marqué l’évolution de notre pays. Est-ce ironique de penser que c’est la marque qu’il a faite sur cette histoire qui l’a poursuivi? C’est dans le cynisme plutôt que dans la logique des évènements historiques du Congo qu’il convient de percevoir l’intentionnalité des acteurs et des faits visant à la destitution sociale programmée et à la démolition de la mémoire collective, ainsi que l’expropriation de certains blocs et la reconfiguration cadastrale planifiée de Bacongo. C’est donc la longue durée qui se présente mieux comme la base d’interprétation morale entre l’impact de Bacongo dans l’histoire congolaise, et sa transformation en enfer causée par les razzias des milices politiquement, et sans doute ethniquement, hostiles au destin et aux aspirations des Bacongolais, les populations de Bacongo.
En s’efforçant d’esquisser une réponse à ces interrogations, l’on pourrait s’instruire sur la cause des maux qui minent la société congolaise. Des gens et des événements sont certes présents au cœur des drames. Mais peut-être serait-il judicieux d’insinuer que son esprit ne manquera pas de buter sur un invisible pernicieux qui fait prévaloir la loi du mal et son accomplissement dans la destruction, au détriment du rêve de l’épanouissement humain et social, manifeste dans les actions et entreprises diverses de la population bacongolaise, depuis toujours.
L’on voit dans la violence qu’a subie et subit de temps en temps Bacongo, la tentative de démolir l’identité et la création qui font sa fierté. En réalité, cette violence n’expose pas seulement un état d’esprit vis-à-vis de Bacongo et de la culture qu’il représente, mais à en croire certains, elle indique plus fondamentalement le rejet de la démocratie. Bref.
Bacongo, sans l’intervention judicieuse du Bacongolais, l’honorable Félix Tchicaya, alors député du Moyen-Congo, allait être déplacé de son emplacement actuel, par les Européens, au-delà du pont du Djoué. Voici, ci-dessous la lettre que l’honorable Félix Tchicaya, qui habitait dans la rue Condorcet N°8, à Bacongo, envoya en 1948 à Monsieur le Haut-Commissaire de la République française en A.E.F. (Afrique Equatoriale Française), publiée en novembre 1948 par le journal A.E.F Nouvelle:
«Monsieur le Haut-Commissaire,
J’ai l’honneur de vous informer que j’ai été invité à prendre part aux travaux du Comité de l’Urbanisme et de l’Habitation aux colonies. Ce comité avait, dans sa séance du 10 décembre 1947, à se prononcer sur les projets des plans directeurs de Brazzaville et de Diégo-Suarez.
Après l’audition de Monsieur Normand, rapporteur du plan d’extension de Brazzaville, je suis intervenu dans le débat pour défendre les droits de mes compatriotes.
A priori, les conclusions de Monsieur Normand pouvaient être admises, mais seulement dans la mesure où les réalisations envisagées tendent à faire de la capitale de l’A.E.F., une cité digne de la France et de la grande espérance que représente pour nous l’Union Française.
Les observations que j’ai présentées ont mis en lumière les vices d’un système qui tend à parquer les individus par races, en créant des zones «non aedificandi» dans les cités africaines. Les «rideaux de verdure» comme les «ceintures vertes» sont les formes nouvelles de ces barrières dont l’existence n’a plus de raison d’être, si nous voulons vraiment cette interprétation des hommes, génératrice d’une meilleure compréhension entre eux. Les Européens qui habitent Poto-Poto sont peut-être en train de nous donner une préfiguration de la cité de demain. Alors, pourquoi ne pas pousser dans ce sens?
Pour ce qui est du déplacement du quartier Bacongo dont les habitants iraient s’établir dans la zone située vers le Djoué, à proximité d’un lac artificiel à créer, après les travaux du barrage actuellement à l’étude, j’ai formulé les réserves les plus expresses quant à l’opportunité d’une telle mesure.
Bacongo est le plus vieux quartier de Brazzaville. Son existence officielle remonte à 1890. Plusieurs générations de Congolais y ont fait souche. Il s’est développé chez la plupart de ceux-ci un sens réel de la propriété individuelle. Peut-on, dès lors, et sans susciter de graves remous, décider unilatéralement que trente mille personnes environ devront du jour au lendemain quitter leur habitat pour se faire une maison dans une «zone» où les aménagements promis resteront pendant longtemps à l’état de projet? S’il est vrai que l’eau et l’électricité seront dispensées à profusion dans le nouveau quartier, pourquoi ne pas le faire tout de suite dans le quartier actuel? Depuis longtemps, les populations le demandent, comme elles ont toujours demandé la création d’un organisme d’habitation à bon marché pour qu’elles aient la possibilité de transformer les cases actuelles en cottages remplissant les meilleures conditions de confort et d’hygiène.
Si seulement depuis que la question a été évoquée, on avait constitué un fonds alimenté annuellement par le dixième des contributions perçues sur rôles dans les deux grandes agglomérations de la capitale, nous aurions aujourd’hui un organisme aussi puissant que celui des Belges en face.
Du point de vue juridique, le déplacement de Bacongo ne peut pas être justifié parce qu’il ne s’agit pas d’entreprendre des constructions présentant un caractère d’intérêt public. D’ailleurs, quand il fut question de déplacer Bacongo en vue de l’extension du terrain d’aviation actuel, les protestations des populations influèrent sur le choix de l’emplacement du nouvel aérodrome.
J’ai dit également que le fait d’approuver le déguerpissement des gens de Bacongo signifierait tout simplement que l’indigène doit toujours faire les frais de la chose publique. Car il est évident que si on n’avait pas laissé certains hommes et certains groupes financiers accaparer de nombreux terrains dont la mise en valeur est constamment retardée en vue d’opérations spéculatives, on aurait trouvé une autre zone de résidence en plus de celle située en bordure du fleuve, à proximité de la Case de Gaulle. Qu’au surplus, la législation domaniale n’ayant pas encore été modifiée pour prévenir de tels accaparements, les mêmes erreurs peuvent donc se produire qui remettraient tout en question. La victime sera toujours l’indigène qui devra périodiquement vider les lieux…
Pour toutes ces raisons, le Comité, à l’unanimité, a décidé de soumettre le plan directeur de Brazzaville à l’approbation du Conseil représentatif du Territoire. Ce qui veut dire que rien ne sera fait jusqu’à nouvel ordre.
La même résolution a été adoptée pour Diégo-Suarez, sur l’intervention de Monsieur Duveau, Député M.R.P de Madagascar.
Or, il me revient que des mesures auraient été déjà été prises en vue d’obliger les habitants de Bacongo d’avoir à vider les lieux. Cela est d’autant plus surprenant que des dispositions de cette nature ne doivent plus, en l’état actuel de notre législation, être arrêtées sans que les assemblées locales souveraines en la matière aient statué.
C’est pourquoi, avant d’interpeller le gouvernement, je vous demande de me faire connaître votre opinion sur la présente lettre.
Veuillez agréer, Monsieur le Haut-Commissaire, l’assurance de ma considération distinguée.
Félix Tchicaya.»
Merci Honorable Félix Tchicaya pour votre esprit visionnaire et patriotique.
Au regard des événements malheureux qu’a connus Bacongo, il est temps, voire nécessaire que les Forces du Bien reconquièrent les valeurs qui garantissent l’épanouissement humain et reconstruisent le Congo sur la base des principes vraiment démocratiques, pour éradiquer à jamais les dispositions par lesquelles les acteurs politiques et les politiciens véreux congolais ont souvent visé à étouffer la joie de vivre du peuple congolais. C’est ainsi que moi, personnellement, je me permettrais d’inviter patriotiquement toutes les forces vives à contribuer au maintien et au renforcement de la paix en produisant et en fortifiant des mécanismes qui empêchent la prolifération des armes au sein de la société congolaise, ainsi que l’usage des armes comme moyen de parvenir au pouvoir pour le pouvoir, et de le conserver.
Un devoir s’impose aux Congolais épris de paix et de liberté, respectueux de la vie et aimant notre pays: le recours au dialogue comme socle de la paix sociale dont l’absence ne ferait que maintenir le sous-développement et soutenir un cycle de rancune et de vengeance sans fins.
Au regard de l’animosité suscitée par la haine tribale au Congo à travers diverses politiques et des choix d’exclusion, tout Congolais est invité à se démarquer des forces minoritaires qui s’évertuent à maintenir un climat d’anarchie et de violence manifeste ou larvée, et qui par ce seul moyen qu’elles connaissent, protègent leurs privilèges personnels au détriment du bien commun et de l’épanouissement de l’ensemble de la société congolaise. «Il y a honte d’être heureux seul», dixit Albert Camus. Nous, les Congolais, serions-nous à la hauteur d’un tel défi? J’ai dit.
Dieudonné
ANTOINE-GANGA.
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