PENSIONS : Le système des retraites miné par la pratique du ‘’moro obosso’’
Comme tous les Congolais le savent, les retraités de la Caisse de retraite des fonctionnaires (CRF), devenus de véritables maltraités par le Gouvernement, vivent un calvaire aux conséquences quotidiennes dramatiques dans les familles. C’est vraiment inhumain qu’un pouvoir exercé pourtant majoritairement par des retraités puisse soumettre d’autres à une vie totalement indigne de la personne humaine alors qu’ils avaient régulièrement cotisé lorsqu’ils étaient actifs.
Contrairement au système de retraite par capitalisation qu’applique les Etats-Unis d’Amérique, par exemple, celui en vigueur dans notre pays-hérité de la puissance coloniale- est celui de la retraite par répartition. Ce qui signifie que ce sont les cotisations des actifs qui servent à payer les passifs que les retraités sont devenus.
Mais, pour que ce système de retraite par répartition puisse fonctionner sans difficultés, il faut que le nombre des actifs soit très largement supérieur à celui des passifs. Le paiement des pensions des retraités de la CRF ne posait pas de problèmes au départ. Tous les Congolais se souviennent encore qu’il n’y a pas très longtemps encore qu’après le paiement des salaires des fonctionnaires, celui des retraités avait lieu la semaine qui suivait. Tout cela parce que les cotisations des actifs généraient suffisamment de ressources financières pour payer les retraités.
Le calvaire des retraités de la CRF
Malheureusement, avec la gouvernance hasardeuse et la navigation à vue, qui sont les marques de fabrique de ce pouvoir sans dessein pour le Congo, des difficultés n’allaient pas tarder à se faire jour. Si sous d’autres cieux gouverner c’est prévoir, avec tous les Gouvernements qui se sont succédés avec ce pouvoir, gouverner c’est improviser et subir avec indifférence les événements. Pire, pour ce Gouvernement, c’est mépriser la population et la maintenir dans la misère innommable qui est la sienne. Chaque mois et chaque année, ce sont des milliers de fonctionnaires qui vont à la retraite sans qu’ils ne soient remplacés à travers des recrutements fiables. Il en est de même pour ceux et celles qui sont décédés ou qui sont devenus handicapés et donc inaptes à assumer leurs fonctions soit à la suite d’une maladie, d’un accident ou pour toute autre cause. Les années passant, le nombre des retraités n’a fait que grossir de manière inquiétante et à grande vitesse alors que celui des actifs connaissait toujours une baisse catastrophique. Ce qui devait arriver a fini par arriver. Les cotisations des actifs ne peuvent plus générer des ressources suffisantes pour payer les retraités. C’est l’une des causes des difficultés que connaît actuellement la CRF pour payer les pensions de retraite. C’est aussi ce qui explique le fait que les retraités accumulent actuellement près de deux ans d’arriérés de pensions.
Mais qu’on ne s’y trompe pas. La vraie et déterminante cause de cette déliquescence de la CRF demeure incontestablement les détournements massifs et récurrents des deniers publics dans toutes les institutions et administrations publiques congolaises. La CRF ne fait exception.
Je ne porterai pas des gants pour dire la vérité sur l’enfer que vivent nos pères, mères, oncles, tantes et frères retraités de la CRF.
Tous les directeurs généraux de la CRF, anciens et actuels, tous les ministres du Travail et de la Sécurité sociale et toute la constellation des réseaux mafieux ont détourné et continuent à détourner massivement et sans honte, depuis des décennies, plusieurs milliards de F. CFA des ressources de la CRF.
Ce n’est d’ailleurs pas surprenant dans un pays où l’on marche sur la tête et on voue un culte sans bornes à l’enrichissement illicite et facile, un Gondwana où, malgré les discours soporifiques et anesthésiants contre les anti-valeurs, les vices sont devenus des vertus et les voleurs des gens honorables et de bonne moralité.
Ces voleurs et criminels et cols blancs sont responsables de plusieurs drames dans des familles. Combien de retraités sont morts faute de traitements appropriés, combien sont devenus paralysés, aveugles et n’arrivent pas à se nourrir au quotidien et combien de couples ont été disloqués à cause de cette précarité ?
Mais ces odieux et inhumains criminels s’en fichent car ils savent bien qu’au royaume de l’impunité qu’est devenu le Congo, ils ne risquent absolument rien puisque le poisson pourrit par la tête et que le sommet de l’Etat est loin d’être exemplaire à suivre.
Eviter une implosion de la CRF
Pour éviter une implosion de la CRF, il y a deux types de mesures à prendre. Les premières concernent les ressources financières nécessaires au paiement mensuel des pensions de retraite. Les secondes concernent la répression, par voie de justice, de tous les types de détournements des milliards de F. CFA de la CRF au détriment des retraités qui devraient en être les légitimes bénéficiaires.
Pour générer suffisamment de ressources financières dans les caisses de la CRF, il faut que le ministre du Travail et de la sécurité sociale prenne rapidement l’initiative:
A. De faire préparer avec diligence, par son cabinet, un projet de loi à soumettre au Parlement sans retard. Ce texte portera sur le relèvement de l’âge de départ à la retraite à 63 ans. Mais les fonctionnaires pourront toujours demander, à 62 ans, à prolonger leurs activités pour une durée ne dépassant pas deux ans. Ils pourront alors partir en retraite à 64 ou 65 ans. Il n’y aura pas de seconde prolongation d’activités.
Ce relèvement de l’âge de départ à la retraite s’explique par le fait que des milliers de fonctionnaires étaient partis à la retraite toutes les années antérieures, sans être remplacés, plusieurs autres partent en retraite cette année dans les mêmes conditions. Si rien n’est fait, d’autres iront en retraite l’année prochaine et les années suivantes sans être remplacés. Ces nouveaux et nombreux retraités viendront grossir le nombre des retraités. Ce qui aura pour conséquence de faire perdre à la CRF d’importantes ressources financières et d’aggraver le déséquilibre entre les charges et les ressources de la CRF, rendant ainsi plus difficile le paiement des pensions des retraités. Il est donc nécessaire de retarder ces départs à la retraite pour conserver les ressources financières provenant des cotisations des actifs en attendant que soient recrutés un nombre suffisant de Congolais, chaque année, dans la Fonction publique, afin que, dès le départ à la retraite des fonctionnaires qui devaient aller à 60 ans, il y ait plus d’actifs qui cotisent et génèrent davantage de ressources financières pour payer les passifs.
Mais, pour éviter les abus de la part de ceux qui redoutent le départ à la retraite, la future loi portant relèvement de l’âge de départ à la retraite à 63 ans ne concernera pas les fonctionnaires qui ont déjà reçu leurs préavis de départ à la retraite. Leur départ est irréversible. La future loi doit préciser l’exclusion des préavisés de manière explicite.
B. Prendre une circulaire à adresser aux directeurs des Ressources humaines de tous les ministères
Ces derniers devront lui envoyer rapidement un rapport faisant état des décédés et de ceux qui sont devenus inaptes ou handicapés pour diverses raisons. Ce rapport fera connaître au ministre du Travail et de la Sécurité sociale les besoins en personnel de son ministère selon les directions et les services. La circulaire devra préciser que ce rapport doit être adressé impérativement au ministre de la Sécurité sociale avant la fin du mois de septembre de l’année en cours. Cela permettra au ministre de la Sécurité sociale de budgétiser les futurs recrutements de l’année prochaine. L’établissement et l’envoi de ce rapport seront obligatoires chaque année et assortis de sanctions pour les directeurs des Ressources humaines qui n’auront pas envoyé leurs rapports dans les délais qui leur sont impartis.
Mais le ministre du Travail, qui est aussi celui de la Fonction publique, doit se garder de perpétuer cette pratique tribale qui continue à privilégier les relations et la tribu et non la compétence. Cette pratique dite de ‘’moro obosso’’ qui signifie, en mbochi, un piston haut placé, doit être définitivement abandonnée parce qu’elle promeut la médiocrité et l’incompétence dans l’administration publique. C’est pour cette raison que je conseille au ministre de la Fonction publique de ne pas se laisser distraire par l’idée d’un concours de recrutement à la Fonction publique. C’est ce qui alimentera la corruption et le versement des pots de vin perpétuera l’absurdité du système ‘’moro obosso’’. Il faut un recrutement sur dossier mais avec des critères de sélection rigoureux. Il faut aussi de la transparence en publiant dans la presse écrite, audiovisuelle voire dans les réseaux sociaux les avis de recrutement. Il faut donner de la chance à tous les congolais et congolaises qui voudront candidater. Ce ne doit pas être un secret. Il faut délaisser le bouche à oreille selon les affinités des personnes.
C. Commander un audit auprès d’un cabinet international connu pour sa compétence et son sérieux en la matière. Tous les comptes de la CREF doivent être audités afin de déterminer, avec exactitude, le montant des milliards de la CRF qui ont été détournés.
D. Une fois cet audit réalisé et les responsables des détournements identifiés, il sera plus facile d’engager des poursuites pénales contre les différents auteurs. Il serait insupportable que les criminels en col blanc puisent se la couler douce avec l’argent des retraités qu’ils narguent d’ailleurs. Les résultats de cet audit doivent être rendus publics et les milliards détournés par chaque ancien DG de la CRF, y compris l’actuel DG, sans oublier les anciens et actuel ministres du Travail et de la Sécurité sociale. Les condamnations pénales de ces criminels économiques doivent être assorties des mesures de saisies de leurs biens de valeur et immeubles sans oublier leurs comptes bancaires tant au pays qu’à l’étranger. Il existe actuellement des cabinets internationaux compétents dans la traque des comptes bancaires à l’étranger de ceux qui ont détourné des milliards d’argent public dans leur pays.
Voici, Monsieur le vice-Premier ministre, ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Sécurité sociale ma modeste contribution, afin d’éviter un écroulement de la CRF et la mort en masse de ses retraités dont vous serez inévitablement rendu responsable pour n’avoir rien fait pour l’éviter.
J’espère que vous prendrez rapidement toutes les initiatives pour convaincre le Président de la République de convoquer une session extraordinaire du Parlement pour l’adoption du projet de loi portant relèvement de l’âge de départ à la retraite des agents de l’Etat à 63 ans sans oublier de commander un audit des comptes et de la gestion de tous les anciens DG de la CRF depuis sa création jusqu’à nos jours. Le DG actuel de la CRF ne sera donc pas épargné.
Ludovic NGOMA
Journaliste professionnel indépendant
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