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Le consensus de Madingou en question

Le consensus de Madingou en question

Le terme consensus est apparu dans le champ politique congolais à l’occasion du Dialogue national de Sibiti de 2015 à propos de la réforme constitutionnelle. La concertation politique de Madingou, tenue du 24 au 26 novembre 2020, a été organisée sous le même label. Depuis lors, ce terme occupe une place prépondérante dans le débat politique, suscite de vives controverses et donne lieu à de chaudes polémiques d’interprétations sémantiques. A ce propos, des interrogations se posent.

D’abord, quelle est l’acception véritable du terme consensus? Puis, quelle est la conception occidentale du terme consensus dans la gouvernance publique? Ensuite, quelle est la pratique du consensus dans la société africaine? Enfin, quels sont les motivations et les objectifs des promoteurs de la concertation de Madingou et, finalement, ont-ils été réellement atteints?

1. Un essai de définition du terme consensus
Ce terme, qui a pris de l’ampleur ces derniers temps dans le jargon politique national et qui empoisonne le débat politique au cours de cette période pré-électorale, paraît quelque peu savant et échappe, par conséquent, à l’entendement du Congolais moyen. Aussi s’imposerait-il d’en repréciser l’étymologie et les contours. Selon le dictionnaire encyclopédique, consensus est un mot latin qui signifie «accord», au sens de «sentiment commun». Un consensus est donc un accord des volontés sans aucune opposition formelle. Le consensus se distinguerait de l’unanimité qui met en évidence la volonté manifeste de tous les membres de l’accord.

2. Conception occidentale du consensus dans la gouvernance publique
Dans les pays occidentaux, la culture judéo-chrétienne amène à considérer que la diversité est préférable et plus riche que la pensée unique. A cet effet, les décisions se prennent selon des pratiques pertinentes: le vote majoritaire, le compromis et le consensus. Afin d’appréhender, en définitive, le sens et la portée du consensus, il conviendrait au préalable de passer en revue les deux premières notions.

2.1. Le vote majoritaire
La démocratie de type occidental recommande l’usage du vote, soit dans le cadre de la démocratie représentative, soit dans celui de la démocratie directe (usage du référendum, recours aux élections primaires). Si le vote démocratique se trouve être légitimé comme seule source légitime du pouvoir, il est fréquent de constater — surtout lorsque le sujet est complexe ou met en jeu des positions très antagonistes qu’il laisse une minorité, parfois importante, des votants mécontente des résultats. Et si la majorité – bien que légitime – se comporte de façon arrogante ou intransigeante, la situation peut apparaître comme une «stratégie de force», de type «gagnants contre perdants». Et même si cette minorité accepte «la règle du jeu» et la décision prise, elle sera tentée de résister activement ou d’atténuer les conséquences de cette décision jusqu’à la «revanche prochaine», au prochain scrutin.

2.2. La procédure du compromis
Le compromis est une autre méthode pour prendre une décision, habituellement par la négociation. Deux parties ou plus annoncent leurs positions respectives et les changent, petit-à-petit, par des concessions mesurées. Chacune se sent obligée de concéder quelque chose. Le résultat atteint est rarement de qualité, car ressenti par les parties comme un équilibre «perdants-perdants». Personne n’est totalement satisfait et chaque côté prend en note ce qu’il a donné, pour en vérifier les contreparties et préparer les prochaines renégociations.

2.3. Le procédé du consensus
Le consensus correspond à une décision qui fait place à la créativité de chacun. Soit un processus dans lequel il s’agit:
-pour chacun d’une décision à prendre, d’un problème à résoudre plutôt qu’une bataille à gagner de se projeter dans la discussion comme «nous ensemble» plutôt que comme «toi contre moi»
-de considérer qu’aucune décision n’est prise avant que tous les participants ne l’acceptent.
Cela peut être long à mettre en place, car le consensus est le produit patient de toutes les meilleures idées et volontés dans un groupe ou dans une assemblée en discordance, dans un esprit de cohésion et d’équilibre. Les minorités sont présentes et entendues tout au long du processus, et pas seulement à la fin: la décision est ainsi élaborée collectivement.

3. La pratique du consensus dans la société africaine
Dans la société traditionnelle en Afrique, le consensus est la résultante d’une dynamique d’échanges se déroulant au sein d’une assemblée publique spécifique, la palabre africaine, où des opinions et des positions divergentes s’affrontent et se contredisent. Le point de vue de Nelson Mandela et une observation personnalisée dans notre pays peuvent en constituer une illustration pertinente

3.1. Le consensus selon Nelson Mandela
Cette palabre, périodiquement organisée dans le Thembuland, une contrée orientale de l’Afrique du Sud, et dirigée par le régent du peuple thembu, le tuteur du jeune Mandela, est décrit avec un réel brio, par ce dernier, dans un passage de son livre autographique. Il y présente notamment sa vision du consensus dans le paragraphe ci-après: «L’idée que je me ferai plus tard de la notion de commandement fut profondément influencée par le spectacle du régent [chef] et sa cour. […] Lors des réunions, le régent était entouré de ses amaphakhati, un groupe de conseillers de haut rang, qui jouaient le rôle de parlement et de haute cour de justice du régent […] Les invités se rassemblaient dans la cour, devant la maison du régent, et c’est lui qui ouvrait la réunion. […] A partir de ce moment, il ne disait plus rien jusqu’à la fin. […]
Au début, je fus stupéfait par la véhémence – et la candeur – avec laquelle les gens faisaient des reproches au régent. Mais, quelque fût la gravité de l’accusation, le régent se contentait d’écouter, sans chercher à se défendre et sans manifester aucune émotion. Les réunions duraient jusqu’à ce qu’on soit arrivé à une sorte de consensus. Elles ne pouvaient se terminer qu’avec l’unanimité ou pas du tout. Cependant, l’unanimité pouvait consister à ne pas être d’accord et à attendre un moment plus propice pour proposer une solution. La démocratie signifiait qu’on devrait prendre une décision ensemble en tant que peuple. La règle de la majorité était une notion étrangère. Une minorité ne devait pas être écrasée par une majorité. Ce n’est qu’à la fin de la réunion […] que le régent parlait. Il avait comme but de résumer ce qui a été dit et de trouver un consensus entre les diverses opinions. Mais, on ne devrait imposer aucune conclusion à ceux qui n’étaient pas d’accord. Si l’on ne pouvait parvenir à aucun accord, il fallait tenir une autre réunion (1)

3.2. Une observation personnalisée dans notre pays
On pourrait compléter et confirmer cette pratique du consensus par une observation locale dans notre pays. En effet, dans ma famille élargie ainsi que dans le village de mes parents et dans le groupe ethnique auquel j’appartiens, la résolution des conflits privés et publics s’effectue selon le scénario ci-dessus décrit, à la «maison commune» dénommée olèbè. Tous les participants – aussi bien les notabilités que les villageois ordinaires – ont droit à la libre expression de leurs opinions. Les débats peuvent durer autant de temps que le dernier habitant ne se ralliera pas à la conclusion escomptée par toute l’assistance. Le fruit de cette longue et patiente négociation entre les parties divergentes est un consensus qui équivaut en réalité à une adhésion totale des participants. C’est donc une unanimité constatée de façon tacite.
On pourrait, par ailleurs, s’accorder sur le fait que c’est sous l’inspiration de la palabre africaine, ayant pour objectif la recherche du consensus, que Mgr Ernest Kombo a pu faire aboutir la turbulente Conférence nationale souveraine et réussir son spectaculaire atterrissage en douceur le 10 juin 1991.

Les mobiles à la base de la concertation de Madingou.
L’ordre du jour de la concertation indique clairement ses motivations et ses objectifs desquels découlerait logiquement une méthodologie incontournable.

4.1.Les motivations et les objectifs de la concertation
Le pouvoir politique a fait preuve de prévoyance et de clairvoyance en organisant une rencontre de conciliation entre les acteurs publics préalablement aux futurs scrutins électoraux. Il s’agit de baliser le chemin d’une élection présidentielle apaisée. A cet effet, la procédure efficiente consisterait à localiser et à identifier d’éventuelles entraves, les points de désaccord qui troubleraient ou empêcheraient le processus de l’élection présidentielle. Cela sous-entend, sans nul doute, une démarche pour aplanir les divergences d’approche, une action de conciliation à entreprendre à l’endroit des catégories du personnel politique et des acteurs sociaux susceptibles d’être des obstacles au déroulement normal du processus électoral.

4.2.Une méthodologie spécifique et incontournable
Le Congo étant un petit pays, les partis politiques représentés ou non au Parlement, le personnel politique de tous les bords et la société civile sont facilement identifiables. Il s’agissait d’établir, en priorité, un répertoire des éléments qui poseraient problème et de les amener à la table de conciliation ou de concertation. Peu importe la grandeur ou le nombre de ses membres, chaque entité sociopolitique ne doit être représentée que par un élément ou un nombre égal à la concertation afin d’aboutir à terme à un consensus réel et véritable tel que défini et décrit ci-dessus. Ce qui est loin d’être le cas pour la concertation de Madingou: les leaders des grands partis d’opposition contestent fortement les conclusions de cette dite rencontre.

Conclusion
Somme toute, l’organisation de la concertation de Madingou suscite quelques réflexions sur le fond.
D’abord, pourquoi le pouvoir politique a-t-il choisi d’écarter la terminologie «dialogue» consacrée par la Constitution du 25 octobre 2015 – articles 227 et 228 — et par les retrouvailles politiques antérieures? Ensuite, qu’a-t-on visé en miniaturisant et en transposant la configuration du Parlement — le parti majoritaire et les partis alliés déjà en osmose et les partis d’opposition minoritaires au Sénat et à l’Assemblée nationale — comme fondement de la concertation de Madingou? Enfin, pourquoi n’avoir invité que la société civile et les individualités proches du pouvoir et avoir systématiquement écarté des personnalités qui pensent différemment?
En réalité, une réponse évidente à ces interrogations semble s’imposer: la concertation de Madingou s’apparenterait plutôt à une parade, une manœuvre politicienne destinée simplement à légitimer les futures forfaitures électorales.

Claude-Richard M’BISSA
Ancien élève de Sciences Po Paris
Référence.

1. Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté Edition Livre de Poche, 2014, pp. 29 à 31.

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