A qui profite la contre-performance du système de santé au Congo?
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- Publié le jeudi 23 août 2018 08:38
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Dans l’une de nos publications antérieures (Journal La Semaine Africaine N°3777 du 23 mars 2018), nous avions rappelé la définition du système de santé, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), comme «toutes les activités officielles ou non, qui portent sur les services de santé mis à la disposition d’une population et sur l’utilisation de ces services par la population»1
Quant au sens d’un système, celui-ci signifie un ensemble d’éléments plus ou moins étroitement liés les uns aux autres tels que l’affectation d’un de ces éléments a nécessairement une répercussion plus ou moins grande sur le reste des éléments.
Au sens large, un système de santé et non un système de soins, est constitué, d’une part, d’un ensemble de ressources (humaines, matérielles, financières) dédiées à la prise en compte de la prévention, du soin et de la recherche dans le champ sanitaire; d’autre part, des interactions et des «règles du jeu» qui relient les acteurs impliqués. On ajoutera à cela l’activité d’entités qui ne sont pas sanitaires à titre principal, mais qui interfèrent avec la santé comme l’agriculture, l’industrie, l’éducation, le transport, etc.
Au regard de ce qui précède, la différence entre un système de santé et un système de soins apparaît très clairement.
Si le système de santé français a été classé parmi les plus performants au monde par l’OMS, il ne serait pas exagéré d’affirmer que le système de santé congolais serait, lui, classé parmi les plus médiocres, eu égard aux nombreux dysfonctionnements qui le caractérisent.
La question brûlante que nous devrions nous poser est celle de savoir ce qui est à l’origine des contre-performances du système de santé congolais et à qui profite-t-elles?
Les raisons sont, certes, multiples et bien connues, mais nous voulons, à travers cet article, faire observer combien les ressources humaines directement impliquées dans le système de santé sont responsables des contre-performances de celui-ci.
Voici aujourd’hui plus de trois décennies que le système de santé congolais souffre de la médicalisation à outrance, c’est-à-dire un système de santé réduit à l’offre de soins pour le patient (malade), en relayant au second plan toutes les autres fonctions:
- la production de prestations de santé préventive ou promotionnelle, individuelle ou collective;
- la mise à disposition des ressources nécessaires à la fonction précédente: connaissances actualisées, professionnels formés, locaux, produits de santé, matériel biomédical, etc.;
- le financement des activités précédentes, en lien avec les dispositifs de protection sociale;
- la régulation: production des normes (juridiques, techniques), contrôle et évaluation, etc.
Le système de santé congolais, dans son état actuel, se trouve quasiment contrôlé par les médecins, qui considèrent que le titre de Docteur en médecine leur confère la compétence nécessaire pour occuper tous les postes et les fonctions en lien avec la santé. Ce qui est totalement absurde et dangereux pour le pays, dans la mesure où l’expérience a montré que la quasi-totalité des médecins ont brillé par une incompétence patente et notoire, chaque fois qu’ils ont été placés à la tête de certaines structures.
A titre d’exemple :
- la transformation de l’hôpital général en Centre Hospitalier et Universitaire (CHU), alors qu’il était prévu la construction d’un CHU aux normes modernes, assorti d’une faculté de médecine. Ainsi, une grande ville comme Brazzaville s’est vue privée d’un hôpital général, jusqu’à ce jour, alors que le Ministère de la Santé fut dirigé par un éminent professeur en médecine;
- l’échec des politiques de gratuité des antirétroviraux, des césariennes et autres interventions obstétricales majeures (IOM), alors que le Ministère de la Santé fut dirigé par un autre éminent professeur en médecine ;
- l’année 2012 a été décrétée année de la Santé et près de 100 milliards de francs CFA ont été alloués par le Gouvernement de la République au Ministère de la Santé, dirigé à l’époque par un professeur en médecine. A peine six ans plus tard, nos hôpitaux sont dans un état de délabrement sans précédent (le scandale est très perceptible dans nos départements où les hôpitaux sont de véritables mouroirs, comme pour dire que la santé, c’est seulement à Brazzaville et à Pointe-Noire);
- le chaos du «Projet de Développement des Services de Santé» (PDSS II), dirigé par des médecins et qui, actuellement, est en pleine cessation d’activités;
- aujourd’hui, presque tous les hôpitaux et autres services sanitaires du Congo ont à leur tête des médecins en activité (alors qu’il manque des médecins pour s’occuper des malades) et des médecins admis à la retraite, tous sans qualification aucune en management des établissements et services de santé.
Pour divertir les Congolais, l’Agence Française de Développement(AFD) a initié, en collaboration avec le Ministère de la Santé et de la population, un projet «bidon» qui consiste en l’organisation d’une formation modulaire en «Gouvernance et gestion des hôpitaux» de cinq jours par mois pendant sept mois, à l’endroit des directeurs des hôpitaux et des départements de la santé, afin de donner à ces derniers quelques rudiments de gestion des établissements de Santé, alors que cette aide de l’AFD pouvait servir à une formation initiale de Master en Gestion des établissements et services de Santé des jeunes licenciés en Santé Publique, qui chaque année, sortent de la Faculté des Sciences de la Santé (FSSA);
-Etc.
Ces quelques exemples sont une parfaite illustration du scandale orchestré par des soi-disant
«Sachants» du domaine de la santé au Congo. Ce scandale a pour conséquence, la souffrance et la mort en cascade (comme des mouches) des populations. Les statistiques sanitaires en sont une preuve irréfutable.
Nous avons évoqué plus haut, la performance du système de santé français. En effet, ce mérite est le fait que la France accorde une place prépondérante à la prévention sous tous ses aspects. Ce qui est très loin d’être le cas pour le Congo, qui, théoriquement, a inscrit dans les documents officiels que le niveau périphérique de sa pyramide sanitaire, constitué des Centres de Santé Intégrés (CSI), serait l’interface entre la population et le professionnel de santé. C’est à ce niveau que plus de 85 à 90% des problèmes de santé de la population devraient être résolus.
Malheureusement, la réalité est tout autre. Les budgets alloués à la santé s’arrêtent le plus souvent au niveau central, sans arriver à destination des bénéficiaires. Et cela se traduit par le désastre des ruptures intempestives des médicaments essentiels et autres consommables (Alcool, réactifs de laboratoire pour la réalisation des examens les plus basiques: Goutte Epaisse à la Recherche d’Hématozoaires (GERH), Numération Formule Sanguine (NFS), Vitesse de Sédimentation (VS), Examen Cytobactériologique des Urines (ECBU), Prélèvement Vaginal (PV)...), l’insuffisance de matériels et équipements de base dans les formations sanitaires, l’absence d’un système cohérent de référence et contre référence des malades, le faible taux de fréquentation de ces centres, la quasi-absence des activités de prévention et de promotion de la santé par les Comités de santé (COSA).
Devant ce sombre tableau, il apparaît sans ambigüité que la contre-performance du système de santé congolais profite à ses intellectuels rusés, dont le seul but est de s’enrichir frauduleusement sur le dos des populations.
Je saisis cette occasion pour lancer un vibrant appel au Président de la République, à qui la Constitution de la République confère le pouvoir discrétionnaire des nominations des cadres, afin de prendre toutes ses responsabilités avant de procéder à la validation des propositions de nominations qui lui sont soumises, de manière à limiter les dérives auxquelles l’on assiste impuissamment dans le domaine de la Santé et dont nos braves et innocentes populations restent la principale victime.
Constant O.B.
ANGOUBOLO
OSSALA, MPH
1-Jacques Raimondeau, l’épreuve de Santé publique, 2e édition, Presse de l’école des hautes études en Santé publique, 2016, page 20.