Le vide et le plein

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Si l’on voulait, on passerait la vie à se lamenter de tout. Des mille et une choses qui ne marchent pas. Des mille et un tracas qui compliquent l’existence dans un quotidien déjà pas facile. Des politiques qui ne nous rassurent pas sur la sortie prochaine de la crise qui nous frappe. Du futur de notre jeunesse que l’on semble avoir confiée aux aléas d’une incertitude plus sûre que nos projections politiques ou économiques.

Sur notre système de santé gangrené par les grèves et les comportements qui accablent les malades et leurs familles. Sur le retard des salaires qui ne permet pas même de penser que l’année scolaire et universitaire se terminera bien en juin.
Tout cela et une foultitude d’autres choses sont les réalités qui composent notre quotidien. Dans nos quartiers, dans nos familles, les veillées funèbres sont légion. On a l’impression que nous mourons plus aujourd’hui qu’hier. Les spécialistes de ces choses expliqueront que c’est un problème mathématique : « nous mourrons plus, parce que nous sommes devenus plus nombreux». Mais il est difficile de compter autant de morts dans la semaine dans nos villes et de voir de la simple mathématique dans tous ces cercueils qui prennent chaque jour le chemin de cimetières à l’étroit !
La vie du Congolais se complique de mille et une raisons de désespérer. Le dire n’est pas une fausseté, mais s’arrêter à cela est réducteur. Car la vie est une succession d’ombres et de lumières, de jours et de nuits, de larmes et de sourires. C’est ainsi que dans sa rue, le Congolais semble un éternel heureux. Il envahit l’espace public avec un optimisme débordant, massacre ses ennuis avec les sarcasmes les plus féroces, se moque de lui-même et en parle à la troisième personne, inonde les quartiers de temples et de lieux de culte ou la différence avec les bars d’antan n’existe plus. Nous autres commentateurs de l’actualité ne pouvons qu’en faire le constat.
Et comme dans ce jeu de miroir, nous sommes aussi des concernés, ceux qui décrivent le Congolais pleurant et ceux qui pleurent en Congolais, notre propre raison de céder à la désespérance est au moins égale à celle de tous les autres. C’est pourquoi nous disons (à nous-mêmes aussi) de regarder notre société avec l’optimisme mesuré que procure le verre à moitié plein. Il serait tellement désolant qu’il fût totalement vide! Tout n’est pas beau, mais tout ne pousse pas totalement au désespoir non plus. Le Congo n’est pas un Etat failli !
Dans un dispensaire perdu au fond de la brousse, on trouvera toujours un infirmier dévoué qui ne compte plus ses mois d’impayés mais qui s’obstine à rester là, en attendant sa retraite qui ne sera pas plus rassurante au vu des temps. Le cri des enfants à la sortie des classes est un hymne à la joie. Les mamans vendeuses du marché sont un peu bruyantes et chamailleuses, mais quel courage et quel dévouement à se lever au premier chant du coq pour nourrir la ville ! Elles font absolument œuvre de philanthropes, et savent adapter leurs prix à la hauteur des désargentés que nous sommes tous devenus.
Il y a tellement de raisons de regarder le lugubre ambiant qu’on en viendrait à croire le Congolais condamné à trouver porte close aux Centres de transfusion sanguine et portes béantes aux différentes morgues débordées. Il y a toujours dans un bureau poussiéreux de mairie une maman, un papa qui tapent avec application sur une machine à écrire qui ne connait pas l’ordinateur un quelconque acte administratif. Il y a, depuis 58 ans, le même Congolais qui se proclame ainsi et qui veut vivre avec 4 millions d’autres sur le même territoire. Le Congo, malgré quelques rares moments de passagère folie dévastatrice, reste uni. C’est une formidable raison d’espérer.

Albert S. MIANZOUKOUTA

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