Comme des mouches
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- Publié le mardi 10 avril 2018 10:41
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Est-ce la crise économique seulement? Dans les quartiers, la misère prend des proportions qu’on a rarement vues. Un Evêque note : «On meurt comme des mouches». On meurt de maladies évitables. On meurt de manque de moyens. On meurt de délitement général dans un contexte où la corruption, le laisser-aller, le découragement et le fatalisme se traduisent en amoncellement de morts.
En morgues saturées. On meurt comme des mouches de ne pouvoir payer ce qui était en principe gratuit. De ne pas pouvoir, tout simplement, là où les fins de mois rallongées et la rareté des pensions, ne permettent plus de programmer, d’envisager, d’anticiper.
Chaque jour qui passe, c’est autant d’acquittements des devoirs de deuils : veillées, cotisations, participations aux frais d’obsèques, visites de consolation, messes de requiem.
On meurt de vivre mal. On meurt de tous ces petits trafics minables qui s’exercent autour de la douleur des autres : on marchande les cercueils comme on marchanderait un meuble de salon. Et les vendeurs se frottent visiblement les mains de voir les affaires marcher aussi bien. Les morts se multiplier. Pas de mévente, pas même de réelle volonté de marchander et de ramener vers des prix raisonnables : les morts, on le sait, ne marchandent pas. Et les vivants autour d’eux ont plus peur de rater des funérailles que de perdre une vie.
La mort se banalise à un point tel que plus personne ne s’étonne qu’elle attire autant de débauche et d’obscénités. C’est comme si, ayant atteint le fond, le Congolais n’avait plus devant lui que la désacralisation de la mort pour moins lui résister. Ma voisine est morte d’une césarienne mal pratiquée. Et le chirurgien pressé de questions par la famille en peine, a haussé les épaules et les a envoyer littéralement paître: «Et alors, vous savez combien de personnes meurent ici à l’accouchement ? Qu’est-ce qu’elle avait de spécial, celle-là » ? Rien. Seulement le droit légitime de donner la vie et de ne pas la perdre. Autrement dit, rien du tout. Un détail.
Sommes-nous à ce point acculés au fatalisme ? Qui sonnera le glas de l’hécatombe : le FMI ? Qu’il fasse vite, alors, et nous laisse vivre. Parce que, sortir de son quartier au matin et y être accueilli par deux ou trois palmes annonciatrices de deuil à l’entrée de la rue au retour, sont une réalité qui ne devrait réjouir personne. Pourtant, on la côtoie chaque jour, en même temps qu’on enjambe les immondices qui s’accumulent chaque jour en bas du quartier. Avec indifférence et même avec un zeste d’agacement: comme si, de mourir en période de crise, était un crime de lèse-majesté qui dérangeait les survivants.
Albert S. MIANZOUKOUTA