Arrêter l’indécence!
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- Publié le mardi 11 octobre 2016 20:35
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La politique ne se fait pas sans éthique. Tout homme, toute femme qui s’engage en politique, de manière active ou par ses réflexions, est conscient de ce que la politique n’est pas le domaine du tout permis; il y a des limites qu’imposent l’éthique, la tradition et le droit à travers la législation nationale et les instruments juridiques internationaux auxquels le pays souscrit. On peut dire le plus simplement du monde qu’il n’est pas de politique sans morale. Autrement, l’humanité court à sa perte, selon le célèbre adage latin: «L’homme est le loup de l’homme».
Depuis l’ouverture démocratique, notre pays a fait l’amère expérience des violences armées dues aux querelles politiques. Certains partis politiques étaient arrivés à entretenir des milices armées, responsables de crimes restés impunis depuis novembre 1993, année où se déclenchèrent les premières violences armées opposant les partis politiques. Au sortir des grands-messes de réconciliation nationale, le peuple congolais, dans sa magnanimité légendaire, déclara simplement: «Plus jamais ça!». Autrement dit, plus jamais de violence armée en politique.
Les accords croisés d’avril 2003 mirent un terme aux hostilités dans le Pool, entre le mouvement de résistance armée de Ntumi et les forces gouvernementales, grâce à un processus de négociation difficile, impliquant plusieurs acteurs, dont la ministre Yvonne Adélaïde Mougany et l’ancien premier ministre Isidore Mvouba. Le président Denis Sassou-Nguesso s’appuya sur ses plus proches collaborateurs, notamment le ministre d’Etat Firmin Ayessa et le ministre Jean-Baptiste Ondaye, pour que la sortie de Ntumi à Brazzaville et sa prise de fonction comme délégué général chargé de la promotion des valeurs de paix et de la réparation des séquelles de guerre soient rendues techniquement possibles. Des programmes de démobilisation, de ramassage d’armes de guerre et de réinsertion des ex-combattants furent lancés, avec plus ou moins de succès, mais parfois inachevés. Le Pool s’arrima, enfin, à l’ère de la paix et de la liberté de circuler, comme les autres départements du pays. Cahin-caha, de grands projets furent réalisés comme la reconstruction de la route Brazzaville-Kinkala, grâce à l’Union européenne, et en 2010, la municipalisation accélérée du Pool. En ce temps-là, qui pouvait s’imaginer que le pire était encore devant nous? Le dialogue avait permis de sortir des hostilités armées. Les crimes d’assassinats commis par les milices armées furent exemptés du sceau de la justice, pour donner toutes les chances au retour de la paix.
Désormais au sommet d’une institution publique, Frédéric Bintsamou se donna une carrière florissante d’homme d’affaires, allant et venant entre Brazzaville et ses bases de repli dans le Pool. Mais, «chasser le naturel, il revient au galop», dit un autre adage. Habitué à s’imposer par les armes et donc par la criminalité, Ntumi ne s’était pas départi de sa milice qu’il a continué à entretenir, sous le couvert de son mouvement religieux dont il est le pasteur. Ses adeptes s’appellent nsiloulou. Le phénomène était tel que le feu couvait sous la cendre. Ce feu a été attisé de nouveau à l’occasion de la campagne électorale relative à l’élection présidentielle anticipée du 20 mars dernier. Devenu directeur de campagne dans le Pool, d’un candidat de l’opposition, en l’occurrence Guy-Brice Parfait Kolélas, qui fera même de lui son conseiller politique, le pasteur rebelle et ses partisans armés y trouvent le prétexte de reprendre le Pool en otage. C’est le retour à la case-départ d’avant les engagements croisés de 2003.
Les incidents se multiplient avec la force publique, dans le Pool, jusqu’aux événements de l’attaque sanglante des quartiers Sud de Brazzaville, le 4 avril 2016, par une horde déchainée de nsiloulou. La suite, on la connaît: réplique de l’armée par le bombardement des sites du pasteur Ntumi dans le Pool; mandats d’arrêt lancés contre lui et deux de ses proches; renforcement de la présence militaire dans le département, pour traquer les fugitifs, etc. La réaction de Ntumi est alors de recourir au terrorisme, à l’exemple du mitraillage et de l’incendie d’une ambulance en service, avec ses occupants, sur la route de Kinkala.
Dès lors, Ntumi s’est disqualifié en politique. Prendre prétexte de ses actes terroristes ou criminels pour revendiquer un dialogue avec le gouvernement est une indécence morale indigne d’une classe politique responsable. Le «Plus jamais ça!» a tout de même un grand sens pour le peuple congolais, parce qu’il y a des limites éthiques et juridiques à l’action politique. On ne peut pas recourir aux armes, tuer des innocents, pour soutenir des revendications politiques. Désormais, le pasteur rebelle n’a plus d’autre voie que de se soumettre à la justice de son pays. A lui de dénoncer ses complices ou ses manipulateurs. Les habitants du Pool ont trop souffert et souffrent trop, moralement et physiquement, pour espérer que son banditisme armé peut être de nouveau absout par des manœuvres politiques de dialogue. Ni Joseph Kony en Ouganda, ni Abu Bakr Al Baghdadi en Irak, encore moins Abubakar Shekau au Nigeria, etc, n’ont été appelés à des tables de négociations avec les gouvernements de leurs pays respectifs, car ils sont à la tête d’impitoyables mouvements terroristes commettant d’abominables crimes de guerre. Pour cela, ils sont traqués, afin d’être mis devant la justice. Dommage à ceux qui, au Congo, n’ont pas encore compris que la politique a des limites. Quand quelqu’un crible de balles une ambulance en service et l’incendie avec ses occupants, qu’est-ce qu’on peut négocier avec lui, franchement? Le mettre au gouvernement pour qu’on ait la paix? Mon Dieu! C’est le comble de la honte et de l’impuissance de l’Etat. On ne doit pas mettre sur un même pied d’égalité ceux qui massacrent le peuple, pour faire valoir leurs revendications politiques, et ceux qui, au risque de leur vie, cherchent à le protéger. Oui, il faut plutôt discuter avec des dirigeants conscients que la politique a une éthique.
Maintenant, pourquoi notre force publique n’arrive-t-elle pas à mettre la main sur les fugitifs dans le Pool? C’est la question que tout le monde se pose. Au point qu’excédées par cette situation, plusieurs personnes pensent que Ntumi est un fonds de commerce. Pour leur crédibilité, les autorités nationales devraient relever le défi de mettre rapidement les fugitifs devant la justice et ce n’est pas un défi plus difficile à relever que celui d’envoyer une fusée sur la lune, quand on dispose d’une force publique devant faire preuve de qualités professionnelles reconnues.
Joachim MBANZA