24 août 1958 à Brazzaville: les malentendus de la politique
À l’initiative du Président de la République du Congo et de l’Ambassadeur de France, des manifestations importantes ont été organisées à Brazzaville les 27, 28 et 29 octobre 2020, à l’occasion du Manifeste de Brazzaville (1940) créant la France Libre, ainsi qu’à l’occasion du discours du général de Gaulle au stade ÉBOUÉ (24 août 1958). Les chefs d’État de la Centrafrique, de la République Démocratique du Congo, du Tchad, tout comme les représentants des présidents Ali Bongo Ondimba, Paul Biya, ont rehaussé de leur présence la commémoration de ces évènements.
Dans leurs interventions, ils ont souligné la solidarité entre la France et les anciennes colonies dans le passé.
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean Yves Le Drian, représentant le Président Macron, a souligné et reconnu que, malheureusement, ces faits historiques sont oubliés en France.
C’est une partie de l’histoire de la France méconnue. Il le regrette énormément.
Ainsi la célèbre colonne Leclerc partie de Brazzaville par le fleuve Congo pour remonter jusqu’en Oubangui Chari, pour affronter les troupes ennemies à Koufra, a pourtant libéré Paris en 1944, y compris Strasbourg.
Près de 70 000 hommes, dont les Africains de l’AEF, firent partie de cette épopée.
Mais il n’y a nulle part un monument érigé pour honorer la mémoire de ces combattants. La France ne reconnaît nullement ses colonisés morts pour elle. Elle ne reconnaît que les faits de résistance intérieure représentés par de nombreux monuments aux morts dans les villages de France.
La France n’a pas gardé le souvenir des gens mobilisés nommés tirailleurs sénégalais morts pour libérer la métropole.
J’ai personnellement visité le monument de Colombey-les-deux églises consacré au général De Gaulle. Je n’y ai vu aucune mention de la France libre, ni de Brazzaville, capitale de la France libre, ni de Félix Éboué, premier résistant en Afrique ayant répondu à l’appel du général De Gaulle, le 18 juin 1940.
C’est qu’entre la France et les anciennes colonies, il y a des problèmes.
Les Français sont français et les Africains francophones.
Des faits historiques sont occultés ou déformés. Quand le général De Gaulle, au stade Éboué le 24 août 1958, prit la parole, il proposa aux colonisés une communauté franco-africaine. Il les dissuada de s’engager dans l’indépendance exposée aux dangers du Péril Jaune et des impérialismes d’intérêt.
À la fin, les Congolais et les autres ont été bernés car prétendre que l’on mettrait tout en commun pour le développement partagé de la France et des territoires en accordant l’exclusivité de l’exploitation des richesses naturelles à la France, fut une entreprise d ’arnaque. Du reste, la communauté n’a jamais existé ni fonctionné et les accords signés par un secrétaire d’Etat français et le Président de la République du Congo, le 15 août 1960, soulignent les nouveaux rapports néocoloniaux.
Les festivités qui ont eu lieu à Brazzaville ont laissé indifférente toute la presse française qui n’y a pas fait allusion.
On est loin de modifier la perception que la France a de nos problèmes.
J’ai, à cette occasion, donné une communication le 27 octobre pour expliquer les enjeux de la politique engagée par le général De Gaulle.
L’exemple que l’on donne aux étudiants pour l’explication du syntagme malentendu s’inspire d’une intervention du Général De Gaulle à Alger le 4 Juin 1958. Tout commence avec le Comité de Salut Public né à Alger en 1958. De Gaulle rappelé par le Comité de Salut Public (1958), la quatrième République fut en proie à de nombreuses crises; l’instabilité des institutions fut patente, aggravée par la guerre née en Algérie déclenchée par les nationalistes du Front National de Libération. Les Algériens prirent les armes pour se libérer de l’occupation française. Cette guerre divisait aussi les Français, les partisans de l’Algérie française et ceux militant pour l’indépendance de cette colonie. Des officiers français, de concert avec des civils politiques, pensèrent à un homme providentiel pour sauver la France et ses possessions coloniales.
A Alger, un général parachutiste compagnon de la libération, Jacques Massu, muni de pleins pouvoirs civils et militaires pour avoir enrayé le FNL à Alger et les attentats, entreprit une démarche audacieuse. Il lança le Comité de salut public le 13 mars 1958. Ce comité comprenait également des Algériens. Le général Raoul Salan autorisa la manifestation publique de ce comité aux fins d’éviter un bain de sang. Le comité proclama rechercher une personnalité d’envergure à placer à la tête de l’Etat français et pour rétablir la stabilité et surtout enrayer le nationalisme ou la sécession en Algérie. Tous pensèrent au général Charles de Gaulle.
Un jour, au cours d’une manifestation publique, on lut la réponse du général de Gaulle aux partisans du Comité de Salut Public. «Naguère, le pays dans ses problèmes m’a fait confiance pour le conduire tout entier jusqu’à son salut. Qu’il sache, je me sens prêt à assumer les pouvoirs de la République». Le général Salan en charge de l’armée en Algérie, se fit applaudir par les partisans du Comité de Salut Public. Il adressa ainsi des correspondances au Président de la République, René Coty, aussi bien qu’aux présidents des assemblées pour les inviter à faire appel au général de Gaulle afin d’en finir avec les crises.
Le Président René Coty décida de recevoir le général de Gaulle et le nomma à la tête du gouvernement. De Gaulle se présenta devant le palais Bourbon pour l’investiture. Sur 553 votants, il récolta 325 voix pour et 224 députés votèrent non. De Gaulle dans un long discours, exigea les pleins pouvoirs pour six mois et annonça une réforme constitutionnelle à faire approuver par référendum. Tout comme il entendit aussi réorganiser les rapports de la République française avec les peuples associés (les colonies).
Le malentendu d’Alger (04 juin 1958)
Le général de Gaulle s’envola en direction d’Alger. Il se fit applaudir sur tout le long parcours de l’aéroport au palais du gouvernement. Sur les 20 kilomètres, une foule bigarrée, enthousiaste et délirante l’applaudit avec une frénésie inédite. Le général Jacques Massu lui fit un briefing pour que dans son discours, il se prononçât pour l’intégration de tous les habitants de l’Algérie et du Sahara à la nation française. Ce qu’attendait la marée humaine de pieds noirs mobilisés sans retenue. Du balcon, Charles de Gaulle dit à la foule qui l’acclamait: «Je vous ai compris!». Ce fut un grand malentendu. De Gaulle entama des négociations avec le FNL, qui avait allumé l’insurrection depuis 1954 et plus tard, en 1962, l’Algérie proclama son indépendance. Des milliers de Français furent conduits au départ vers la métropole. Il y eut aussi des Algériens engagés auprès des troupes françaises pour combattre les partisans de l’insurrection, les harkis. La décision de Charles de Gaulle désorienta une bonne partie de l’opinion française, surtout ceux qui attendaient de lui l’intégration de l’Algérie à la nation française. Les Français d’Alger furent trompés. De Gaulle par son propos entretint un vrai malentendu. Les réactions furent nombreuses et hostiles, à commencer par celles des militaires qui, en 1961, tentèrent un putsch. Les principaux généraux, Salan, Jouhaud, Challe furent traînés devant les tribunaux.
Au cours d’une plaidoirie retentissante, Maître Tixier Vignancourt défendant la cause du général Salan, produisit une lettre du général De Gaulle au général Salan. Laquelle correspondance donnait à Salan des gages pour la sauvegarde de l’Algérie française. Ainsi Salan sauva sa tête de la guillotine. Par ailleurs, le général Challe, au cours de son procès, dénonça: «Il n’y a pas de loi au monde qui puisse obliger un homme à faire du parjure un pain quotidien». Beaucoup d’hommes d’affaires et politiques français soutinrent que de Gaulle roula les gens dans la farine. Il avait son propre agenda et personne n’avait été mis au parfum. Il ne consultait pas non plus les institutions: il était De Gaulle et n’avait de compte à rendre qu’à sa conscience! Il était convaincu de travailler pour les intérêts et la grandeur de la France.
Plusieurs fois, on soutint qu’il n’avait pas souvent respecté sa parole d’officier.
Au stade Eboué, à Brazzaville, le 24 août 1958, De Gaulle proposa la Communauté franco-africaine et déconseilla l’indépendance. Charles de Gaulle arriva à Brazzaville et fut reçu par le maire Fulbert Youlou, devant la mairie de Poto-Poto. Le 24, après la messe à la Basilique Sainte Anne, célébrée par l’archevêque Michel Bernard, le général prit la parole dans un stade Eboué plein à craquer. Il était accompagné de Bernard Cornut Gentil, ancien Gouverneur général en AEF, et du commandant Eboué, pilote de son avion.
Après l’accueil de Barthélémy Boganda, président du Grand conseil de l’AEF, il prononça son discours pour proposer une Communauté franco-africaine et dissuada d’opter pour l’indépendance ou la sécession. Il déclara: «La métropole et les territoires d’Outre–mer forment ensemble une communauté. On mettra en commun un domaine qui, dans l’intérêt de tous, comprendra la défense, l’action extérieure, politique, économique, la direction de la justice et l’enseignement supérieur et les communications lointaines.»
Cette communauté aura des institutions. D’ailleurs, l’indépendance «quiconque la voudra, pourra la prendre aussitôt.» «Et cela signifie qu’un tel territoire ne veut pas faire partie de la communauté proposée, et qu’il fait en sorte une sécession.» Il embraya ensuite sur les dangers de l’indépendance: «Nul n’ignore qu’il y a quelques dangers qui sont latents dans le monde, des grandes menaces qui pèsent sur l’Afrique. Il y a particulièrement, en Asie, de grandes masses humaines qui cherchent à s’étendre, faute d’avoir chez elles les moyens suffisants de vivre. Bien entendu, ce processus se couvre comme toujours depuis que les hommes sont hommes d’un paravent idéologique. Mais derrière cette idéologie, il y a comme toujours l’impérialisme des intérêts et en outre une tentative de trouver à l’intérieur une tête de pont politique qui facilite l’accès et au besoin d’invasion.» (A suivre)
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